Christophe Champin, en charge des nouveaux médias à RFI, auteur du livre Afrique noire, poudre blanche, André Versaille Editeur/RFI.
Entretien: « Les pilotes d’avions de la drogue rémunérés autour de 1000 dollars le kilo de cocaïne transporté »
Les avions privés sont aujourd’hui un moyen important de transport de la cocaïne latino-américaine vers le marché européen, avec souvent des escales en Afrique. David Weinberger est l’auteur, avec Nacer Lalam*, d’un rapport sur le sujet publié en France par l’Institut des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il revient sur l’histoire des « avions de la drogue » et comment ils sont utilisés par les organisations criminelles.
Afrique drogue : Quand les organisations criminelles latino-américaines ont-elles commencé à utiliser des avions privés pour acheminer de la drogue ?
David Weinberger : Le trafic de stupéfiants par la voie aérienne légère n’est pas un phénomène récent. Il accompagne même l’histoire du trafic de stupéfiants depuis plus de 60 ans. Parmi les exemples historiques les plus marquants, citons la contrebande d’opium de la French connexion dès 1955 avec son célèbre Air Opium, qui désignait les quelques petites compagnies charters qui, sous couvert de transport de passagers, acheminaient de l’opium produit dans le Triangle d’Or. Un mode opératoire qui atteindra un stade industriel avec la non moins célèbre compagnie Air America quelques années plus tard. Mais le cas le plus connu de trafic de stupéfiants par avionnette reste celui qu’organisait le célèbre chef de cartel colombien Pablo Escobar à ses débuts, lorsqu’au milieu des années 70, il transportait lui-même ses cargaisons depuis la Colombie pour atteindre les côtes de Floride. Un mode opératoire qu’il améliorera dans les années 80 avec son associé Carlos Lehder, notamment en passant aux aéronefs de type biréacteurs et en allant jusqu’à de gros porteurs. Un vecteur de transport qui sera repris par les différents cartels de la région et qui reste encore utilisé aujourd’hui.
Quelle a été la réponse des États-Unis ?
Le programme Air Bridge Denial Program (ABPD), établi en 1995, a mis en place un contrôle strict de l’espace aérien qui vise à lutter contre le trafic de stupéfiants par la voie aérienne légère en partenariat avec les pays producteurs de cocaïne, principalement avec la Colombie. Ce programme repose sur le développement d’échanges de renseignements en temps réel, à l’aide d’une couverture radar permettant d’identifier les vols clandestins et d’opérer des interceptions aériennes dans la zone andine et caribéenne.
En parallèle, les États-Unis ont renforcé la surveillance de leur espace aérien. Dès le début des années 80, des radars permettant de détecter les petits avions sont déployés aux frontières sud.
Depuis 2009, les États-Unis cherchent désormais à renforcer leurs capacités de détection et d’interception des ultras légers (ULM et drones). Dans cette perspective a été votée une loi intitulée Ultralight Aircraft Smuggling Prevention Act (2011-2012) permettant de poursuivre les pilotes et propriétaires d’ULM et de drones impliqués dans le trafic de stupéfiants. De plus, récemment, l’administration américaine s’est dotée d’un nouveau système de détection (comprenant des drones) en temps réel adapté à l’identification des aéronefs légers.
Comment les organisations criminelles ont-elles contourné les contrôles ?
À la suite de la mise en place du strict contrôle de l’espace aérien des pays andins en 1995, les trafiquants ont délaissé temporairement l’aviation générale au profit des voies maritimes. À cette époque, c’est davantage la diversification des routes qui est remarquable, notamment par la voie maritime. L’explosion des transports de marchandises par container dans le processus de mondialisation offre des opportunités sans précédent aux trafiquants de drogues, et en particulier de cocaïne. Au cours de cette décennie, des modes sont privilégiés tels que les lanchas dans la mer des Caraïbes ou encore l’usage des yoles traditionnelles entre les îles de l’arc caribéen. Sans compter, le recours à des plaisanciers, aux cargos…Dans les années 2000, l’imagination des trafiquants franchit un cap puisque ce sont des semi-submersibles, voire des submersibles qu’ils construisent pour acheminer la drogue en toute discrétion dans les zones de consommation. Mais peu à peu, l’action antidrogue en mer s’est améliorée, incitant les cartels à réactiver les routes aériennes non commerciales pour alimenter les États-Unis au tournant des années 2000. Désormais, les points de départ se sont déportés au Venezuela où l’espace aérien semble moins contrôlé que celui des pays andins. On assiste alors à la formation d’une route aérienne par laquelle transite 20% de la cocaïne à destination notamment des États-Unis, les avionnettes passent par les Caraïbes et l’Amérique centrale. En témoignent les niveaux d’homicides très élevés dans des pays tels que le Honduras que l’on peut associer aux activités liées à l’acheminement des drogues : pistes clandestines, largages…
Quels sont les avantages de l’utilisation de ces avions privés ?
Plusieurs avantages incitent les trafiquants à utiliser les avions privés : premièrement, la possibilité de relier directement les zones de production aux zones de consommation permet d’éviter de rémunérer de nombreux intermédiaires. De plus, les contrôles douaniers et policiers de l’aviation privée sont bien moins fréquents que ceux opérés vers les vecteurs de transport terrestre et maritime. Enfin, la voie aérienne n’est pas soumise aux contraintes géographiques de la voie terrestre (passages obligés comme les massifs montagneux, par exemple) et bien plus difficile à intercepter que les moyens maritimes.
À quel moment ces avions privés ont-ils commencé à être utilisés vers l’Afrique ?
Si des indices permettent de penser que cette voie a été activée au milieu des années 90, il est certain que ce trafic s’est intensifié au début des années 2000 pour atteindre son apogée vers 2005-2006.
Le ciel africain est-il moins sécurisé que celui d’autres régions du monde ?
Si le contrôle de l’aviation commerciale augmente de manière significative grâce aux financements de l’ONU et de l’Union européenne, il n’y a aucun contrôle de l’aviation privée dans la plupart des pays africains.
Quels sont les moyens de mieux la contrôler ?
Il sera difficile d’améliorer ce contrôle, celui-ci dépendra sûrement de la croissance économique et du renforcement des contrôles étatiques. Pour autant, même dans les pays où le contrôle régalien est important, les petits aérodromes représentent le talon d’Achille de la lutte antidrogue comme l’annoncent des responsables de la DEA, l’agence antidrogue américaine, aux États-Unis.
Y a-t-il des efforts faits en ce sens sur le sol africain ?
Non, une initiative française a été déployée de manière temporaire au Mali avant le conflit et a surtout permis de confirmer l’absence de contrôle en la matière dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest (et sûrement du reste de l’Afrique).
Quels sont les principaux points de départ de ces avions? Ont-ils changé ?
Dans les années 80, les trafiquants volaient directement de Colombie en Floride. Désormais, la plupart des départs s’effectuent au Venezuela pour relier l’Amérique du Nord. La principale évolution se focalise sur les vols transatlantiques en direction de l’Afrique de l’Ouest, zone de rebond avant le marché européen.
Les principaux points d’escale ou d’arrivée ?
Concernant les vols en direction de l’Amérique du Nord, les principaux points d’escale sont la République Dominicaine et Haïti, mais depuis la mise en place d’un ABDP en République Dominicaine en 2010, les vols semblent désormais atterrir en majorité au Honduras, au Guatemala et plus récemment au Belize.
Concernant la route transatlantique, la Guinée-Bissau et ses îles Bijagos et la Guinée-Conakry sont les plus impactées avec le Cap-Vert (lieu idéal de transit), plus modestement la Sierra Leone, la Mauritanie ainsi que le Mali sont aussi impactés. Plus près de chez nous, les Iles Canaries sont des lieux de transit privilégiés pour entrer en Europe. À nos portes, le Maroc a identifié un nombre significatif de vols autour du détroit de Gibraltar pour introduire la drogue en Espagne.
Quelques exemples d’itinéraires d’avions du premier décollage au dernier atterrissage ?
Les plaines d’Apure (zone vénézuélienne frontalière de la Colombie) où la cocaïne arrive par la voie fluviale de Colombie pour faire le plein de carburant à Barcelona ou Valencia (aéroports militaires à l’ouest du Venezuela) pour transiter dans les iles Bijagos et enfin rejoindre l’Europe par les Canaries. Un exemple récent : l’affaire d’Un avion médicalisé argentin intercepté en février 2011 avec 944 kilos de cocaïne qui impliquait le copropriétaire de la compagnie de transport médical aérien Medical Jet. Le pilote, fils d’un général de l’armée de l’air argentine, avait volé depuis l’Argentine jusqu’au Cap-Vert pour atterrir sur l’aéroport international de Barcelone. En août 2012, un avion privé de marque Bombardier a été intercepté en aout 2012 avec 1,5 tonne de cocaïne dans les iles Canaries. Provenant du Venezuela, il devait initialement transiter par Cotonou avant l'Espagne. Toujours en 2012, un jet privé a été intercepté en 2012 à Vienne avec environ 600 kilos de cocaïne. Venant du Venezuela, il avait transité par la France et devait joindre Zagreb après son escale en Autriche.
Ces itinéraires ont-ils évolué ?
Les itinéraires évoluent fréquemment en fonction de la réponse antidrogue.
Des avions de la drogue ayant fait escale en Afrique arrivent-ils en Europe ? Où ?
Oui, les jets privés arrivent fréquemment en Espagne mais aussi de plus en plus en Europe de l’Est dont les organisations criminelles, notamment serbes, sont désormais bien implantées en Amérique du Sud et en Afrique.
Les types d’avions utilisés ont-ils évolué ?
Les trafiquants utilisent des avions de plus en plus puissants et onéreux. Ces avions permettent de traverser de longues distances sans escale et de transporter des quantités de drogue de plus en plus importantes. Si dans les années 2005, ces avions transportaient en général une quantité de 600-700 kilos de cocaïne, nombre d’affaires montrent que désormais des aéronefs acheminent plus d’une tonne en un seul vol.
Comment sont-ils achetés, qui les affrète et comment ?
Ces avions sont généralement achetés sur le marché de l’occasion au travers d’intermédiaires (trustees) généralement installés à Coral Gable en Floride. Mais il n’est pas rare de voir des locations détournées de leurs usages officiels comme l’hélicoptère intercepté à Béziers en 2008 avec plusieurs centaines de kilos de cannabis et très récemment l’avion français intercepté en République Dominicaine
Quelle quantité de marchandises sont transportées ?
Pour les vols long-courriers, la cocaïne est la drogue quasi exclusivement transportée mais pour les vols de courte distance le cannabis peut aussi faire partie du « voyage » comme c’est le cas entre le Maroc et l’Espagne.
Qui sont les équipages ?
Difficile à dire, des pilotes spécialisés dans les vols à risque en Afrique et qui seraient rémunérés autour de 1000 dollars le kilo de cocaïne transporté. Un Vénézuélien s’était spécialisé en Amérique latine mais les cas identifiés en Europe montrent aussi que des Espagnols, des Allemands et des Français peuvent se lancer dans ce type de trafic.
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A lire: Le trafic de stupéfiants à partir des aérodromes secondaires non surveillés et plateformes de circonstance, Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), David Weinberger et Nacer Lalam.
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