Comment se prépare (et échoue) une livraison record de cocaïne entre l’Amérique du Sud et l’Afrique

Le 28 juillet dernier, Chigbo Peter Umeh, un baron de la drogue nigérian, a été condamné à 30 ans de prison aux Etats-Unis dans le cadre du démantèlement, en 2010, d’un vaste réseau de trafic international de cocaïne qui devait prendre pied au Libéria. D’autres membres de la bande attendent leur jugement. En consultant le dossier judicaire de cette affaire impliquant des Colombiens, des Nigérians, des Ghanéens et un Russe, on comprend mieux comment s’organise un réseau de narcotrafic entre les deux rives de l'Atlantique. Edifiant...

Tout commence au milieu de l’année 2007. Deux personnes dénommées CC1et CC2 dans l’acte d’accusation du tribunal du district sud de New York en charge de l’affaire, se rendent au Libéria en éclaireurs. Les éclaireurs en question, qui agissent pour le compte d’importants trafiquants de cocaïne basés en Colombie et au Venezuela, sont en quête d’une nouvelle base opérationnelle en Afrique de l’Ouest. L’objectif est d’en faire un lieu sécurisé où de grosses quantités de poudre blanche pourront être acheminées par bateau ou par avion et être redistribuées vers d’autre marchés. Les deux hommes entre en contact avec Chigbo Peter Umeh, un trafiquant nigérian connu sous différents noms ou surnoms (« Emeka Okonkwo », « Chigbogu Umehwunne », « Mike Chibue » ou encore « El Negro »), et ses associés.

Le 15 mai 2009, Umeh et Jorge Ivan Salazar Castano, membre du réseau opérant en Colombie et au Venezuela, se rendent ensemble au Libéria. Castano est accusé par la justice américaine d’avoir déjà envoyé plusieurs avions de différente capacité, bourrés de cocaïne, qui décollaient de pistes clandestines au Venezuela en direction de l’Afrique de l’Ouest.

Helen Johnson Sirleaf, présidente du Libéria, avec
Barack Obama, le 27 mai 2010 (crédit: AFP)

Umeh et Castano vont alors rencontrer deux personnalités du gouvernement libérien, dont l’un n’est autre que le directeur de l’Agence de sécurité nationale du Libéria (RLNSA), qui se trouve être le fils de la présidente Ellen Johnson Sirleaf. Ce que Umeh et Castano ne savent pas, affirme les enquêteurs américains, c’est que leurs interlocuteursn qui ont d’ailleurs déjà été en contact avec CC1 et CC2, sont de mèche avec la DEA, l’agence anti-drogue des Etats-Unis.

Le 17 mai 2009, Umeh et Castano rencontrent à nouveau les officiels libériens ainsi qu’un indicateur de la DEA. A cette occasion, les narcotrafiquants proposent de payer 400 000 dollars US pour assurer l’acheminement de 700 kilos de cocaïne d’Amérique du Sud au Libéria. Environ 100 kilos de cocaïne doivent, disent-ils, servir au paiement pour ce « service » et être ensuite envoyés aux Etats-Unis en petites quantité sur des vols commerciaux.

Durant cette réunion, Umeh fait des révélations intéressantes. Sans doute soucieux de démontrer qu’il n’est pas un amateur, il assure que lui-même et Castano ainsi que leurs associés ont déjà acheminé par avion 900 kilos de cocaïne en Guinée Bissau. Ils ajoutent qu’ils ont également réalisé le même type d’opération au Libéria et en Guinée Conakry.

Une nouvelle rencontre est organisée en octobre 2009, au cours de laquelle Umeh propose aux officiels libériens une provision de 200 000 dollars US pour une cargaison d’environ 2 tonnes de cocaïne d’Amérique du Sud au Libéria, dont 50 kilos devaient repartir vers les Etats-Unis. Umeh évoque également l’envoi d’une deuxième cargaison de 2 tonnes avant la fin de l’année 2009. Le trafiquant nigérian indique que les fournisseurs sud-américains effectueront un paiement additionnel de 1, 4 millions de dollars au patron de la RLNSA ainsi qu’à son collègue du gouvernement libérien, une fois la cargaison arrivée au Libéria.

En février 2010, l’indicateur de la DEA, entre en contact avec CC1, par l’intermédiaire de Umeh, et lui demande s’il a connaissance d’avions disponibles en Afrique pour aider son organisation à transporter les 4 tonnes de cocaïne.

En mars suivant, Konstantin Yaroshenko, un russe qui est pilote et spécialiste du transport aérien, rencontre l’indicateur de la DEA en Ukraine. Au cours d’une série de réunions, Yaroshenko accepte de fournir l’avion et l’équipage pour transporter la cargaison de poudre blanche d’Amérique du Sud au Libéria, puis une partie au Ghana.


Konstantin Yaroshenko, le pilote russe,
chargé du transport de la cocaïne

Autour du 11 mai 2010, le pilote russe arrive à Monrovia, où il doit rencontrer Chigbo Peter Umeh et des membres de l’organisation criminelle colombienne que ce dernier représente. Ils doivent parler de logistique, de sécurité et du prix du transport de la drogue. Le lendemain, Yaroshenko annonce son tarif : 4, 5 millions de dollars US pour le transport du Venezuela au Libéria et 1, 2 millions de dollars US pour l’acheminement du Libéria au Ghana.

Umeh ne chôme pas. Parallèlement, d’après l’acte d’accusation, il est en discussion avec l’indicateur de la DEA avec lequel il discute des détails de plusieurs cargaisons de poudre blanche. Le Nigérian explique que 500 kilos sont déjà en route pour le Libéria par bateau et il demande l’aide du patron de l’agence anti-drogue libérienne pour obtenir que la drogue soit déchargée au large à bord d’un bateau militaire libérien. Enfin, Umeh, décidément très en confiance, discute d’une autre cargaison de 1, 5 à 2 tonnes devant être transportée dans les prochaines semaines à bord d’un avion ayant décollé du Panama. Umeh rencontre ensuite à nouveau Yaroshenko à qui il demande s’il connaît des gens qui pourraient l’aider à écouler la drogue en Ukraine et en Russie. Il retrouve également deux Ghanéens, Nathaniel French dit « le Français » et Kudufia Mawuko dit « Marco », qui proposent de déterminer le point situé au large des côtes libériennes où la cargaison de 500 kilos pourrait être déchargée. Au bout du compte, Umeh et Yaroshenko s’accordent sur une somme de 4,5 millions de dollars pour le transport d’un total de 5 tonnes de cocaïne.

Le piège se referme

Le 14 mai, toute l’équipe rencontre les officiels libériens. Au cours de cette rencontre surréaliste, Umeh raconte que ses partenaires colombiens voudraient récupérer le Blue Atlantic, un navire, saisi le 31 janvier 2008 par la marine française avec 1,2 tonnes de cocaïne à son bord.

Le 15 mai, l’affaire semble bouclée. Yaroshenko se dit prêt à transporter de 6 à 7 tonnes de cocaïne. Et pour rassurer ses interlocuteurs Umeh affirme que ce sont les FARC, les Forces armées révolutionnaires de Colombie, qui assurent la sécurisation du départ des cargaisons de cocaïne en Colombie. Manifestement plus confiant que jamais, Umeh fait des plans sur la comète avec l’indicateur de la DEA, deux jours plus tard. Il affirme être impliqué dans un trafic d’ectasy et de méthamphétamine et propose à son interlocuteur de construire un laboratoire au Libéria et d’utiliser le patron de l’agence anti-drogue libérienne pour importer les produits chimiques entrant dans la composition de ces drogues. Il dit même disposer de chimistes mexicains et avoir identifié des marchés potentiels au Japon et aux Etats-Unis.
Les 28 et 29 mai 2010, le piège se referme. Sept membres du réseau, dont Chigbo Peter Umeh, sont arrêtés et extradés, pour majorité aux Etats-Unis.

Deux autres personnes sont en attente d’extradition vers les Etats-Unis dans cette affaire: Salazar Castano, emprisonné en Espagne, et Marcel Acevado Sarmiento, détenu en Colombie, présenté par la justice américaine comme « un trafiquant de cocaïne capable de transporter des milliers de kilos de cocaïne de Colombie et du Venezuela vers l’Afrique de l’Ouest ». Parmi les autres membres du réseau démantelé, on trouve également des Sierra-Léonais, Ali Sesay, Gennor Jalloh et Gilbrilla Kamara, accusés d’avoir participé activement aux tentatives de corruption des officiels libériens. 

2 Comments

Heureusement que les autorités Libériennes n'ont pas accepté de jouer le jeu des trafiquants. Il faudrait savoir que lorsque la drogue transite par un pays Africain pour l'Occident une partie et non des moindres de la cargaison est revendue sur place.
Il est donc nécessaire d'arrêter de se dire que la consommation de la drogue es "un problème de Blancs". Cela n'a rien à voir et nous sommes presque tous logés à la même enseigne.

cette cocaine dont on parle, qui la consomme, les riches européens, car elle coûte cher.... ce trafic de cocaine est un dégat colateral de l´egocentrisme europeen dans ses rapports avec les autres peuples...si l´europe veut lutter contre la cocaine, elle doit acheter mieux le café , le cacao etc,, bref tout ce que les autres produisent... car c´est la seule chose que les riches europeens achetent au juste prix.... ils ont fait travailler les esclaves pour rien, il prennent le cacao pour rien, il ont mis les africains du sud dans les reserves pour leur voler les diamants, etc,,, tant qu´ils n´acheteront pas le café au juste prix , les pauvres produiront de la cocaine et de l´opium.....
c´est la verité...