Cocaïne en Afrique de l’Ouest: nouvelles filières, nouvelles énigmes

Au moment où l’on reparle du trafic de cocaïne à travers le Sahel, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime fait utilement le point sur le trafic de poudre blanche dans son dernier rapport sur la Criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest. Selon l'UNODC, le trafic de cocaïne continue mais les experts s'interrogent sur sa porte de sortie vers l’Europe.

Premier constat de l’UNODC: si au milieu des années 2000, il est devenu « évident que d’énormes volumes de drogue, représentant des milliards de dollars, étaient expédiés via l’une des régions les plus instables du monde », aux alentours de 2008, « plusieurs indications ont témoigné d’un tassement des flux de cocaïne ».

Les saisies record, principalement maritimes ont été moins nombreuses: « En 2007, au moins 11 saisies de plus de 100 kg de cocaïne avaient été réalisées en Afrique de l’Ouest totalisant plus de 11 tonnes; en 2009, seule une saisie de 160 kilos a été réalisée ». Même constat concernant les passeurs: « 59% des passeurs de cocaïne appréhendés durant le deuxième trimestre de 2007 étaient originaires d’Afrique de l’Ouest, tandis que pendant le troisième trimestre de 2009, aucun passeur aérien provenant de la région n’a été appréhendé ».

Très vite toutefois, de nouvelles prises, certes moins fréquentes, ont eu lieu: deux tonnes de cocaïne en Gambie en 2010, 1,5 tonne au Cap-Vert en 2011 et 1,6 tonne aux îles Canaries en 2012 à destination de l'Afrique de l'Ouest.

Conteneurs et avions privés

Avec la révélation du rôle de l’Afrique de l’Ouest dans le trafic de cocaïne entre l’Amérique du Sud et l’Europe au milieu des années 2000, puis le renforcement des contrôles le long des côtes, les organisations criminelles semblent avoir réduit l'envoi de grosses cargaisons maritimes à destination de l’Afrique. Ce qui ne les empêche pas d’utiliser des conteneurs où elles dissimulent de la coke au milieu d’une cargaison légale, en plus ou moins grande quantité, à l’insu ou avec la complicité des propriétaires des marchandises licites. Les cas se sont multipliés depuis 2010.

L’UNODC rappelle aussi que le recours à des avions privés, déjà utilisés depuis plusieurs années parallèlement à la voie maritime, a connu un certain essor. On se rappelle de l’affaire du boeing 727-200, baptisé « Air Cocaïne », dont la carcasse calcinée fut découverte dans le désert malien en 2009. Mais il y en a eu d’autres. Selon l’organisation onusienne qui cite les services antidrogues britanniques: « un avion Beechcraft BE 300 en provenance de la République bolivarienne du Venezuela a atterri au Mali, près de la frontière mauritanienne, en janvier 2010. La cargaison a été déchargée puis transportée par un véhicule 4x4 en direction de Tombouctou, avant que les autorités ne perdent la trace du convoi ». Dans cette affaire, « un commissaire de police malien a été condamné du fait de son implication dans la construction d’une piste d’atterrissage dans le désert pour de futures livraisons aériennes », indique l’UNODC. D’autres cas ont été signalés depuis en Guinée-Bissau et en août 2012 aux îles Canaries où un Bombardier BD-700 a été saisi après avoir voyagé depuis Valencia (Venezuela), jusqu’au Bénin, transportant 1,6 tonne de cocaïne. « S’étant vu refuser l’entrée au Bénin, l’avion a finalement atterri aux îles Canaries et l’équipage international a été arrêté par les autorités espagnoles », indique le rapport. 

Filières et portes de sortie

L’UNODC confirme, mais en restant prudent, l’utilisation de la zone sahélo-saharienne par les trafiquants. Selon les experts onusiens, « même si aucune saisie de large ampleur n’a été réalisée dans le désert à proprement parler et que la plus grande saisie au Mali s’est avérée par la suite être en fait une saisie de haschich, des éléments périphériques » indiquent que cette route est toujours utilisée. « Plusieurs vols ont été documentés dans le Sahel, dont certains avaient la capacité de transporter de grosses quantités de cocaïne. Il est possible que la drogue ait ensuite été transportée à nouveau vers les côtes pour être réexpédiée, précise le rapport. Quelques saisies ont été réalisées dans le nord du Mali alors que la drogue était transportée par voie terrestre, notamment une saisie de 116 kg en provenance de Guinée et une saisie de 49 kg en provenance du Burkina-Faso.»

Difficile, indiquent toutefois les experts, de savoir par où est ensuite passée la poudre blanche pour atteindre le marché européen. « Les saisies de cocaïne en Afrique du Nord sont très limitées et cette situation n’est pas liée à un manque de capacité d’action de la part des autorités. En 2010, alors que 119 tonnes de haschich ont été saisies au Maroc, seulement 73 kg de cocaïne ont été saisis, ajoute le rapport. Si la cocaïne est transportée à travers l’Afrique du Nord en grandes quantités, alors il semble que ce flux, contrairement au haschich, ait réussi à échapper à tout contrôle. »

Il n'est pas évident non plus, dans ce contexte, d’évaluer la quantité de poudre blanche qui transite via l’Afrique de l’Ouest vers l’Europe. L’UNODC estime à environ 170 tonnes la quantité de cocaïne entrée en Europe en 2010 et elle considère qu’à peu près 18 tonnes sont passées par l’Afrique de l’Ouest à la même période. « Un kilo de cocaïne dont la pureté sur le marché de gros est de l’ordre de 65% avait un prix d’environ 53 000 dollars US en 2010, ce qui signifie que ces 18 tonnes de cocaïne pure auraient une valeur de 1,25 milliards de dollars US », affirment les experts onusiens. Ils précisent que « les profits réalisés et les pourcentages revenant aux trafiquants d’Afrique de l’Ouest restent difficiles à estimer. Cependant cette estimation donne une idée de l’importance des ressources dont disposent les trafiquants pour entretenir la corruption et soutenir les groupes violents opérant dans la région ».

Notons par ailleurs que ce rapport ne fait état que de la situation du trafic à l'ouest de l'Afrique. Il faut savoir que des quantités importantes de poudre blanche transitent également par d'autres régions du continent, dont l'Afrique australe. 

(à suivre)

Lire le rapport de l'ONUDC: Criminalité transnationale en Afrique de l'Ouest: Une évalusation des menaces, février 2013