Christophe Champin, en charge des nouveaux médias à RFI, auteur du livre Afrique noire, poudre blanche, André Versaille Editeur/RFI.
L’Afrique, plaque tournante et terre de consommation de l’héroïne afghane
La tendance n’est pas nouvelle mais elle s’accentue. Alors que l’on parle beaucoup du problème de la cocaïne latino-américaine en Afrique, celui de l’héroïne est tout aussi d’actualité. D’autant que des quantités croissantes transitent par la région, tandis que près de 1,7 million de personnes en consomment dans cette partie du monde.
Crédit: Chien-Chi Chang, Magnum photos/MDM
Sur les photos qui se succèdent, on voit une femme s'injecter de l'héroïne, sur une autre, deux hommes qui s’échangent des seringues. Ces images, comme toutes celles qui composent le webdocumentaire Bongo Fever réalisé récemment par l’agence de photo Magnum et présenté par Médecins du monde, ont été prises en Tanzanie. Plus précisément dans le quartier déshérité de Temeke, à Dar es-Salaam. MDM y a démarré en 2010, un programme de réduction des risques de transmission du sida due à l’injection de drogue.
« Le pays compte aujourd’hui plus de 25 000 usagers de drogues par injection. Un chiffre en constante augmentation dans les grandes villes, où la consommation d’héroïne par injection se répand, et avec elle, la transmission du VIH et des hépatites », indique MDM. Selon Médecins du monde, 40% des usagers de drogue par injection sont porteurs du VIH en Tanzanie.
Alors que l’Europe et les Etats-Unis s’inquiètent de l’utilisation de l’Afrique de l’ouest comme plaque-tournante de la cocaïne, l’Afrique est aussi, plus que par le passé, non seulement un lieu de transit mais aussi de consommation de l’héroïne. Même si ses chiffres sont forcément approximatifs, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) estimait, en 2009, à plus de 1,7 millions le nombre de consommateurs en Afrique (Afrique subsaharienne et Afrique du Nord), dont plus de 500 000 en Afrique de l’Est et près de 800 000 en Afrique de l’Ouest et du centre*. Parmi les pays réputés importants consommateurs, on compte le Kenya, l’île Maurice et l'Afrique du Sud.
L'Afrique a commencé dès le début des années 80 à servir au transit de l'héroïne. Mais le phénomène prend de l'ampleur. Sur les 375 tonnes estimées d’héroïne pure consommées en 2009 dans le monde, entre 40 à 45 tonnes seraient arrivés sur le continent africain. Environ 34 tonnes seraient consommées sur place, le reste repartant vers l’Europe, la Chine et l’Australie.
Et les saisies ont fortement augmenté. Entre 1999 et 2008, elles oscillaient annuellement entre 200 et 350 kg. En 2009, 1200 kg d’héroïne ont été saisis sur le sol africain. Et début 2011, l’UNODC signalait déjà deux saisies de 100 kg chacune, au Kenya et en Tanzanie.
De l'Afghanistan à l'Afrique de l'Est
Plus de 90% de l’héroïne est produite en Afghanistan. Pour atteindre l’Afrique, elle transite d’abord principalement par le Pakistan, mais aussi par l’Iran, les Emirats arabes unis et l’Inde. Ensuite, via des passeurs sur des avions de ligne ou par mer, elle pénètre en Afrique principalement par l’Ethiopie, la Somalie, le Kenya et le Mozambique, indique l’UNODC. Il existe ensuite des « hub » pour la redistribution, dont l’Afrique du Sud et le Nigeria. Parmi les autres portes de sortie de l’héroïne, on compte le Ghana où l’on signale régulièrement des interceptions d’héroïne. Les saisies connaissent aussi une croissance notable en Afrique du Nord, notamment en Algérie.
On le sait depuis longtemps, les réseaux nigérians jouent un rôle clé dans l’acheminement de l’héroïne. De simples passeurs, au début des années 80, ils sont devenus des acteurs importants du trafic. Des membres de ces réseaux vont d’ailleurs s’approvisionner à la source. Comme le démontre la présence signalée de nigérians en Afghanistan et les arrestations régulières de ressortissants nigérians dans des affaires d’héroïne au Pakistan. Selon l’UNODC, d’autres réseaux, notamment tanzaniens, pakistanais et chinois sont impliqués dans le trafic d’héroïne entre l’Asie du Sud et l’Afrique.
Tous profitent de l’insuffisance des contrôles et de complicités locales, parfois au plus haut niveau. Ainsi au Kenya, le 1er juin 2011, Harun Mwau, un puissant homme d'affaires, par ailleurs député et ancien ministre au Kenya, a été placé sur la liste noire américaine des acteurs du trafic de drogue dans le monde. Autre exemple : au Mozambique, où une autre personnalité du monde des affaires proche du parti au pouvoir, Mohamed Bachir Suleimane, avait lui aussi été placé en 2010 sur cette liste noire.
Or, l'utilisation de l'Afrique par les trafiquants d'héroïne a de bonnes chances de perdurer puisque, après une période de déclin, la demande d'héroïne, notamment en Europe augmente régulièrement depuis plusieurs années. D'autre part, outre les risques accrus de corruption et de pénétration de l'argent sale, la consommation croissante d'héroïne présente déjà un grave problème de santé publique pour certains pays africains.
A lire: The Global Afghan Opium Trade, a Threat Assessment, UNODC, 2011
*Les plus gros consommateurs se trouvent en Asie (près de 6 millions) et en Europe (près de 3 millions)
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