Cocaïne, latinos et truands hollandais en Gambie

En Gambie, minuscule pays partiellement enclavé à l'intérieur du Sénégal, ce fut le procès du siècle. Mercredi 11 octobre, 8 personnes ont été condamnées à des peines de 20 à 50 années de prison dans une énorme affaire de trafic international de stupéfiants au terme de plusieurs mois de procès. Retour sur une affaire exemplaire et ses zones d'ombre.

Monument à Banjul, la capitale gambienne, en l'honneur du coup d'Etat du 22 Juillet 1994 qui a porté le président Jammeh au pouvoir (crédit: Flickr/DR)

Tout commence le 4 juin 2010. Les forces de sécurité gambiennes, très fortement chaperonnées par les services anti-drogue britanniques (SOCA) arrêtent 12 personnes après la saisie de pas moins de 2,196 tonne de cocaïne pure. C'est l'une des plus spectaculaires de ces dernières années, après une précédente interception de plus de 2 tonnes, pas très loin de là, sur la petite côte sénégalaise en 2007. Au regard de la taille de l'économie gambienne, la valeur de la cargaison est impressionnante: 1 milliards de dollars une fois revendue au détail sur le marché européen, selon les experts, soit l'équivalent de la moitié du produit national brut annuel du pays en 2010!

Les interpellations se sont déroulées à Bonto, un village de pêcheur à 45 km de Banjul, la capitale gambienne. C'est là, dans une cache spécialement aménagée dans l'entrepôt d'une société officiellement spécialisée dans la pêche aux crevettes, que les enquêteurs ont découvert 85 paquets contenant donc au total 2196 kilos de cocaïne. Les policiers anti-drogue britanniques et leurs homologues gambiens ont mis, en outre, la main sur des armes, 210 000 euros en coupures de 500 euros ainsi que du matériel de communication.

Vénézuéliens

Neuf personnes, dont l'une est décédée en détention quelques jours avant le verdict, seront finalement jugées, notamment pour trafic de drogue, détention illégale d'armes à feu et de munitions. L'un des personnages clé de l'affaire s'appelle Juan Carlos Sanchez. Devant la cour, rapporte la presse gambienne, ce Vénézuélien a raconté qu'il est venu de Guinée-Bissau, où il vivait précédemment, pour s'installer en Gambie. Afin de justifier le fait qu'il détenait des armes, il a assuré que les autorités bissau-guinéennes lui en avait donné l'autorisation pour assurer sa propre sécurité après plusieurs cambriolages à son domicile. Il a ajouté qu'une fois en Gambie, il a fait venir plusieurs des personnes, arrêtées en même temps que lui, Esteban Zan Valla, Lois Dose Fermin, Eric Bottini et Juan Carlos Diaz, tous des Vénézuéliens.

Juan Carlos Sanchez, toujours selon la version livrée à la cour, s'est associé avec un ressortissant hollandais d’origine libanaise, Rudy Rasoel Hamid Ghazi, dans une société de pêche aux crevettes, la Holgam Company. Pour les locaux, rien de plus simple. Accompagnés d'un Gambien, les deux hommes se sont rendus dans le village de Bonto où ils ont négocié l'achat d'un terrain avec le chef de ce village de pêcheurs pour y construire un hangar censé accueillir la société.

Devant la cour, le chef en question, l'alkalo, a confirmé que Rudy Rasoel Hamid Ghazi, qui disposait, d'après lui, de plusieurs bateaux de pêche, est venu un jour voir les villageois qui lui ont fait bon accueil, dans la mesure où ses habitants y voyaient une opportunité de développement. Le malheureux chef traditionnel découvrira plus tard que tout cela n’était qu’une couverture et qu'il risquait d'attendre longtemps les retombées du projet... Un jour de la fin du mois de mai 2010, 18 véhicules de police ont effet débarqué, encerclé le bâtiment et mis au jour la cargaison de cocaïne dissimulée dans une cache construite à l'intérieur du hangar.

Sacs de cocaïne découvert
le 4 juin 2010 en Gambie
 

Selon les services anti-drogue britanniques, le Royaume Uni était l'une des destinations de la poudre blanche saisie à Bonto. Mais devant le juge gambien, Rudy Rasoel Hamid Ghazi a reconnu, à en croire les comptes rendus des journaux gambiens, qu'une partie au moins de la cocaïne était destiné au marché hollandais. La Hollande est, avec l'Espagne et l'Italie, l'une des plus importantes plaques tournantes de la cocaïne d'Europe de l'ouest. De très grosses quantités de drogue arrivent, traditionnellement, par containers au port de Rotterdam, l'un des plus importants d'Europe, ou par avion, avant d'être redistribuées dans le reste de l'Europe. Sur place, de puissantes organisations criminelles locales sont là pour prendre relais.

Rudy Rasoel Hamid Ghazi était-il lié à l'une des ces organisations? Le procès n'aura pas répondu à cette question. Sans doute les enquêteurs britanniques ont-ils pu obtenir plus discrètement des informations sur les réseaux latino-américains et européens impliqués. Mais rien n'a filtré à ce propos.

Complicités locales

Il reste que cette affaire est en tout point exemplaire. Comme au Sénégal en 2007, c'est une société écran de pêche aux crevettes qui a servi de couverture aux trafiquants. Comme en 2007, une grande partie des trafiquants disposaient de passeports vénézuéliens ou d'autres pays sud-américains. L'un d'entre eux, George Sanchez a affirmé, selon la presse locale, être un mexicano-libérien né à Mexico. Comme en 2007 encore, les enquêteurs ont saisi de l'argent liquide, des armes et du matériel de communication. Comme en 2007 enfin, les trafiquants ont bénéficié de complicités locales. Toute la question étant de savoir à quel niveau.

La Gambie, ancienne colonie britannique, est un tout petit pays et, par ailleurs, une dictature où la police et les services locaux de renseignement sont omniprésents. Il est difficile d'imaginer que les trafiquants aient pu s'installer sans que les autorités n'en aient, à un niveau ou à un autre, été informées. Par ailleurs, la Gambie est considérée, depuis plusieurs années, comme une des plaques tournantes de la cocaïne dans la région et une lessiveuse d'argent sale.  En février dernier, le Département du Trésor américain a ainsi indiqué qu'une filiale de la Banque libano-canadienne en Gambie se livrait à des activités de blanchiment.  En 2008, c'est aussi là que Bubo Na Tchuto, chef d'état-major de la marine bissau-guinéenne accusé de tentative de coup d'Etat et placé sur la liste noire américaine des narcotrafiquants, s'était réfugié. Pour autant, personne n'a pu, jusqu'ici, apporter la preuve formelle de l'implication des plus hautes autorités gambiennes dans le trafic.

Quoi qu'il en soit, le procès qui s'est terminé le 11 octobre comporte toujours des zones d'ombre. Selon un spécialiste de la lutte contre les stupéfiants en Afrique de l'ouest, notamment, une dixième personne aurait dû figurer parmi les prévenus mais elle a mystérieusement disparu...Ce type de situation n'est pas nouveau. En 2007, dans l'affaire des plus de 2 tonnes de cocaïne au Sénégal, une source de renseignement occidentale nous a indiqué qu'au moins une personne avait disparu du dossier d'enquête avant même son arrivée sur le bureau du juge d'instruction.