Drogue, affaires et politique au Kenya

Depuis le 1er juin, Harun Mwau, un puissant homme d'affaires kényan, par ailleurs député et ancien ministre,  figure sur la liste noire américaine des acteurs du trafic de drogue dans le monde. Clamant son innocence, il contre-attaque et tente d’obtenir le soutien de son gouvernement.

Au Kenya, Harun Mwau est loin d'être un inconnu. Ce richissime homme d’affaires, roi de l'import-export,  ayant des intérêts un peu partout dans le monde, est membre du parlement et était, jusqu’en décembre 2010, vice-ministre des Transports. Mais il a dû démissionner de son poste, après que l’ambassadeur des Etats-Unis de l’époque, Michael Ranneberger, a transmis un rapport au gouvernement le pointant du doigt ainsi que trois autres parlementaires -Gideon Mbuvi, Hassan Joho et William Kobogo - pour des liens présumés avec le trafic de drogue. Ce rapport a poussé les autorités kényanes à ouvrir une enquête parlementaire. Mais elle n'a pas permis, pour l'instant, de prouver l'implication des quatre personnalités en question dans le narcotrafic.

Pour l'ambassadeur des Etats-Unis, qui a depuis quitté le Kenya, la corruption n'est pas étrangère aux lenteurs des investigations. « La soi-disant enquête de police qui a eu lieu n'était bien sûr pas sérieuse. Cela dit l'enquête se poursuit », a-t-il confié au début du mois à l'agence Associated Press.

Quoi qu'il en soit, le 1er juin, les Etats-Unis ont décidé de placer  Harun Mwau sur leur liste noire des acteurs clés du trafic international de drogue aux côtés d'une femme d'affaires kenyane, Naima Mohamed Nyakiniywa. En vertu du Foreign Narcotics Kingpin Designation Act, la loi instaurant ce système de liste noire, le gouvernement américain peut saisir les avoirs de ceux qui y figurent et les entreprises américaines qui feraient affaire avec eux sont passibles d'une amende pouvant atteindre 10 millions de dollars.

Le « Boss » contre-attaque

Furieux d'avoir été ainsi « blacklisté », Harun Mwau, contre-attaque. Dans une longue interview au quotidien kényan Daily Nation, le 11 juin dernier, il accuse l'ancien ambassadeur des Etats-Unis d'avoir basé son rapport sur un témoignage bidon et s'en prend aux autorités de son pays. Selon le journal, Harun Mwau, surnommé le Boss,  réclame la protection du gouvernement kényan pour « empêcher qu'il soit capturé, tué et jeté à la mer par des troupes d'élites américaines », comme ils l'on fait, dit-il, avec Oussama Ben Laden.  « Le president Kibaki et le Premier ministre partagent le pouvoir exécutif. Le gouvernement américain est connu pour toujours venir en aide aux citoyens américains quand ils sont en difficulté, malheureusement nous attendons encore de voir si nos deux leaders vont agir avec autant de zèle », ajoute-t-il. 

Le Kenya est, de longue date, une importante plaque tournante du trafic de drogue. Depuis les années 80, l'héroïne, produite en Asie du Sud, y transite, avant d'atteindre les marchés européens et américains, tandis qu'une partie est consommée sur place. Vers le milieu des années 2000, de la cocaïne a commencé à passer également par le Kenya. Les Etats-Unis s'inquiètent de l'ampleur que prend le trafic de drogue dans le pays et, surtout, de l'implication croissante de hautes personnalités. Le dernier rapport du département d'Etat sur le trafic de drogue dans le monde dresse d'ailleurs un constat accablant de la situation au Kenya: « Différents officiels sont complices du narcotrafic soit par leur implication directe, soit parce qu'ils protègent des trafiquants, ou parce qu'ils renoncent à assumer leur responsabilité dans la lutte contre le trafic. Des membres de réseaux de trafiquants de drogue kényan sont de plus en plus impliqués dans la politique, certains détenant des postes de responsabilité aux niveaux municipal et national. »