Retour sur le départ de la directrice de la PJ en Guinée-Bissau

En Guinée-Bissau, la chef de la Police judiciaire a démissionné, en raison, affirme-t-elle, des menaces de narcotrafiquants. Ce que démentent les autorités. Cette femme courageuse s’appelle Lucinda Barbosa Ahucarié. Je l’avais rencontré en 2007.

En Guinée-Bissau, le meilleur allié des trafiquants est la quasi-absence d’État. Il y a bien des policiers et des gendarmes, mais la plupart ne sont pas formés et sont mal payés ou corrompus. Ceux, rares, qui se sont lancés, tant bien que mal, dans la lutte contre la drogue travaillent avec très peu de moyens et craignent pour leur vie.

Orlando Da Silva, ancien directeur de la police judiciaire, à l’origine des premières saisies record, en sait quelque chose. Il a été limogé peu après ses plus beaux faits d’armes pour des accusations d’implication dans le trafic de cocaïne qu’il nie catégoriquement.

Mission impossible? 

Celle qui lui a succédé, Lucinda Barbosa Ahukarié, une femme à l’allure frêle mais déterminée, tentait depuis 4 ans, avec des moyens dérisoires de mener la chasse aux trafiquants.

Lorsque je l’avais interviewé au début de son mandat, elle travaillait à partir d’un minuscule bureau dans les locaux délabrés de la police judiciaire, près du marché central de Bissau. « C’est vrai que nous n’avons pas de moyens. Pour vous dire, me confiait-t-elle calmement, nous n’avons même pas de menottes, pas assez de munitions, pas de véhicules. Mais nous essayons de faire ce que nous pouvons.»

Cette catholique fervente, membre d’un réseau de femmes très actif dans le pays, peut s’enorgueillir de quelques opérations coup de poing. En août 2007, ses hommes arrêtent deux Colombiens,

Juan Pablo Rubio Camacho, déjà cité dans l’affaire de l’avion intercepté sur l’aéroport en décembre 2005, et Luis Fernando Arango Meija. Les policiers trouvent également une importante somme d’argent en euros, des armes, des munitions, deux grenades et deux tableaux où sont inscrits les noms de hauts officiers de l’armée, de membres de l’ancien et du nouveau gouvernement bissau-guinéen impliqués dans le trafic des stupéfiants.

Le premier suspect est directeur administratif et financier de la SOMEC, une entreprise de bâtiment et travaux publics, soupçonnée par la directrice de la PJ de servir de société écran. Malheureusement pour Lucinda Ahukarié, les deux hommes ne resteront pas longtemps dans la petite cellule de la police
judiciaire. Le procureur général de l’époque, Fernando Jorge Ribeiro, un proche du Président de la République, ne tarde pas à les relâcher, officiellement pour manque de preuves.

Libérations suspectes

Pourtant, de l’aveu même de la ministre de la Justice d’alors, Juan Pablo Rubio Camacho a été condamné à cinq ans de prison pour trafic de drogue aux États-Unis. « J’étais contre ces libérations, s’emportait devant moi, Lucinda Ahukarié, mais je n’avais pas le pouvoir de les empêcher. Comme je n’ai pu empêcher, quelques semaines plus tôt, la libération de dix Nigérians impliqués dans le trafic de cocaïne. »

Depuis Lucinda Ahucarié a tenté tant bien que mal de remplir sa mission, avec le soutien d’organisations comme l’ONUDC (Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime) et Interpol. Elle affirme avoir décidé de démissionner en raison des menace des narcotrafiquants. Le Premier ministre, Carlos Gomez Junior, affirme que c'est faux, que ce départ est simplement lié à la fin de son mandat directeur de la PJ. Quoi qu'il en soit, nous a confié cette semaine, un policier européen en charge de la lutte contre les stupéfiants en Afrique de l'Ouest, « dans un pays où remplir cette mission est un gageure, compte tenu à la fois de l'absence d'Etat et de l'implication d'une partie de l'armée et de la classe politique dans le trafic de drogue ».

Aucune saisie importante n'a été signalée en Guinée-Bissau, ces derniers mois, mais la réputation de ce pays, comme plaque-tournante du trafic de cocaïne est tenace