Christophe Champin, en charge des nouveaux médias à RFI, auteur du livre Afrique noire, poudre blanche, André Versaille Editeur/RFI.
Le trafic de drogue n’est pas la seule menace en Guinée Bissau, selon un chercheur
On a parlé de la Guinée-Bissau, le 13 janvier, à l’Institut français des relations internationale (IFRI). Tout en reconnaissant la réalité du trafic de cocaïne dans ce pays ces dernières années, le chercheur français Vincent Foucher estime que la drogue n’est qu’une cause de plus d‘instabilité dans ce pays.
L'amiral José Americo Bubo Na Tchuto, chef d'état-major de la marine bissau-guinéenne, soupçonné de trafic de drogue par les Etats-Unis (crédit: AFP)
Il y avait du monde, ce 13 janvier, dans la salle de conférence de l’IFRI. Le sujet du jour était pourtant un petit pays qui, il y a encore quelques années, n’intéressait pas grand monde. Mais depuis 2007, la Guinée-Bissau, Etat situé entre le Sénégal et la Guinée Conakry, a fait la Une des médias du monde entier, parce qu’il serait une sorte de narco-Etat, en raison des quantités astronomiques de cocaïne saisies dans ce pays, en 2006 et 2007. Vincent Foucher, chercheur et spécialiste du Sénégal et de la Guinée-Bissau, est venu expliquer que la réalité n’est plus tout à fait la même. « Il n’y a pas eu de grosse saisie depuis 2009. Le trafic semble s’être déplacé », a-t-il affirmé. Cela dit, des ressortissants de ce pays sont toujours impliqués dans le trafic de drogue, a-t-il précisé, « deux Bissau-Guinéens ont ainsi été arrêtés récemment aux îles Canaries ». Il estime, en outre, que le terme de narco-Etat est inapproprié pour un territoire qui ne sert qu’au transit et non à la production de cocaïne.
Vincent Foucher a tenu aussi à battre en brèche ce qu’il tient pour des clichés. Oui, reconnaît-il, l’armée a bien été impliquée dans le trafic de cocaïne depuis 2005, mais ce sont les politiques qui ont fait entrer la drogue dans le pays: « Il est probable que c’est l’ancien président Vieira [assassiné en en mars 2009] qui a commencé avec feu le président de Guinée-Conakry Lansana Conté ». Constat d’autant plus intéressant, poursuit-il, que lors de son retour sur la scène politique et sa réélection en 2005, après plusieurs années d’exil , Vieira était « soutenu par la communauté internationale » qui voyait en lui un gage de stabilité.
En outre, ajoute-t-il, « les rumeurs sur la cocaïne sont devenues une arme politique », que les partis politiques brandissent, à tort ou à raison, pour discréditer leurs adversaires.
Place de l'armée
Cela dit, la thèse de Vincent Foucher est que la cocaïne est « un élément de plus » dans un jeu plus ancien entre l’armée et le pouvoir civil. La place de l’armée a toujours été déterminante en Guinée-Bissau. C’est l’un des rares pays d’Afrique subsaharienne où l’indépendance a été acquise les armes à la main, en 1974.
Dans cette ancienne colonie portugaise, l’armée bénéficie d’une très forte légitimité, estime Foucher. Mais elle est selon lui ethniquement très marquée. Elle est en grande partie composée, surtout au niveau de la troupe, de membres de l’ethnie balante, issue de la paysannerie, très largement exclue des cercles du pouvoir ou de la richesse pendant des décennies en Guinée-Bissau. Politiquement, la guerre d’indépendance a été menée par une minorité « d’évolués » d’origine cap-verdienne ou appartenant à une petite oligarchie bissau-guinéenne, issue notamment des ethnies Pepel ou Mandjak, tandis que les populations mandingues étaient actives dans le commerce. Pour les balantes, l’armée a donc, explique Foucher, été un moyen de promotion sociale.
La thèse de Vincent Foucher est que l’arrivée de la cocaïne et l’implication progressive d’une partie de l’armée a permis une forme de redistribution. Certains frais de caserne, par exemple, serait, dit-il, payés grâce à la drogue, dans un pays où la solde des militaires est misérable.
D’où l’inquiétude des militaires, notamment balantes, qui craignent de perdre leurs prébendes à l’occasion d’une réforme de l’armée, maintes fois tentée sans succès, récemment encore avec le soutien de la communauté internationale. D’autant que cette réforme suppose, selon Foucher, à la fois un rajeunissement et un rééquilibrage ethnique des forces militaires.
En ce début d’année 2011, trois éléments importants sont à noter, à en croire Vincent Foucher. Il y a d’abord un message négatif pour l’extérieur: l’ancien chef d’état-major de la marine, l’amiral José Americo Bubo Na Tchuto, soupçonné d’être la cheville ouvrière du trafic de cocaïne et placé sur la liste noire du département d’Etat américain, a retrouvé ses fonctions en 2010, après un exil en Gambie pour des accusations de tentative de coup d’Etat. Il y a ensuite deux messages plutôt positifs: le contre-amiral José Zamora Induta a été libéré fin 2010. Ancien chef d’état-major de l’armée, présenté comme issu d’une nouvelle génération d’officiers balantes éduqués, il avait été démis et arrêté à la suite d’un coup de force interne en avril 2010 puis détenu. D’autre part, précise Vincent Foucher, la Guinée-Bissau a reçu de nouvelles promesses d’aide substantielle pour relancer la restructuration de l’armée, notamment de l’Angola.
Commentaire: La Guinée-Bissau reste, selon nos informations, malgré tout un lieu qui intéresse les réseaux de trafiquants de drogue. Mais il est vrai que beaucoup d’autres pays sont concernés, comme le Mali, le Sénégal, le Ghana, le Mozambique ou l’Afrique du Sud. Selon un expert des douanes françaises, présent lors du séminaire l’IFRI, le Cap-Vert, connu depuis longtemps comme une plaque-tournante de la cocaïne latino-américaine, reste également un point névralgique du trafic.
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